Festival de Cannes, Jour 7

Charline Bourgeois-Tacquet et Anaïs Demoustier : la réalisatrice et son double

L’une a réalisé Les Amours d’Anaïs, une comédie sentimentale au charme virevoltant, présentée à la Semaine de la critique ; l’autre y campe une jeune femme tout feu tout flamme qui porte son prénom. Charline Bourgeois-Tacquet et Anaïs Demoustier nous ont parlé de leur complicité créative.

Par Caroline Veunac

12 juillet 2021
Temps de lecture 5 min

Les Amours d’Anaïs

Anaïs (Anaïs Demoustier) devrait être en train de terminer sa thèse sur la passion amoureuse dans la littérature du 17e siècle… Mais sa rencontre avec Daniel (Denis Podalydès), un éditeur plus âgé qu’elle, puis avec la femme de celui-ci, la troublante écrivaine Emilie (Valeria Bruni-Tedeschi), va transporter la fougueuse jeune femme dans un tourbillon sentimental et sensuel. Dans son premier long-métrage, présenté à la Semaine de la critique pour le 60e anniversaire de la section, Charline Bourgeois-Tacquet file sa collaboration avec Anaïs Demoustier, déjà héroïne de son court-métrage, Pauline Asservie (2018). Ensemble, la réalisatrice et l’actrice inventent un personnage de jeune femme libre, fonceuse et volubile, et composent une comédie pleine de charme, menée staccato. Rencontres croisées avec deux camarades de jeu.

Anaïs Demoustier : « Ça raconte quelque chose des jeunes femmes d’aujourd’hui. »

Charline Bourgeois-Tacquet vous avez déjà mise en scène dans son court-métrage, Pauline Asservie. Vous avez le même âge… Y a-t-il un effet miroir entre vous ?

Oui, c’est sûr, il y a un effet miroir. Quand nous nous sommes rencontrées pour son court-métrage, le personnage me semblait presque écrit pour moi, alors qu’on ne se connaissait pas au moment où elle a écrit le film. Nous avons une vraie connexion dans le travail, à travers l’écriture, les rôles. C’est très agréable de travailler avec Charline qui est de la même génération que moi, parce que je sens que ça raconte quelque chose des jeunes femmes d’aujourd’hui, quelque chose de générationnel que j’ai envie de soutenir. Et puis j’ai un grand plaisir à faire des premiers films. C’est toujours un moment très spécial, un geste nourri d’une vraie nécessité.

Qu’est-ce que ça raconte des jeunes femmes d’aujourd’hui ?

Ça raconte qu’aujourd’hui les femmes sont libres d’assumer leur désir, en tous cas elles tendent vers ça. Et aussi que la question de l’homosexualité n’est plus un sujet. Anaïs peut laisser aller son désir à un homme, à une femme, sans que ce soit le sujet du film, sans qu’elle en parle comme une chose à résoudre. Il y a quelques années on ne se posait pas forcément la question du couple, la question de savoir si on a envie ou non de dormir avec son conjoint, d’aimer un homme ou une femme. Aujourd’hui les femmes se la posent et elles assument.

L’Anaïs du film passe son temps à courir et à parler. Elle est toujours en mouvement. Êtes-vous pareil dans la vie ?

Je cours moins dans la vie que dans le film, mais c’est mon énergie à moi que j’ai comme poussée au maximum, que ce soit dans le corps et dans la parole. À la base je suis quelqu’un qui parle assez vite, et d’habitude les réalisateurs me font ralentir. Charline elle m’a plutôt fait accentuer ça. Le personnage est comme une sorte de tornade, agitée par un grand souffle qui l’a fait avancer, et peut-être parfois aller trop vite… Elle est tout le temps poussée par son désir. Je la vois comme une femme qui est en pleine conquête. Elle est dans l’action et c’est amusant, parce que je me rends compte à quel point la parole, c’est de l’action. Le fait d’être tout le temps en train de parler, d’avoir ce long texte à apprendre et à dire, c’était tout ça qui me mettait en mouvement.

Anaïs est une lettrée, mais le film refuse d’opposer le verbe et la sensualité. Il y a une gourmandise à avoir beaucoup de texte à dire ?

Moi j’ai un grand plaisir du texte. J’avais aimé faire du théâtre, et au cinéma parfois ça me manque… Du coup inconsciemment je me dirige vers les auteurs. Quand j’ai fait Alice et le Maire avec Nicolas Pariser, c’était pareil, j’avais beaucoup de texte. Quand j’ai fait La Fille au bracelet avec mon frère (ndlr : Stéphane Demoustier), je faisais l’avocate générale et j’avais beaucoup de texte aussi. Ce qui était super avec ce rôle-là, c’est qu’il y a à la fois un côté intellectuel, cérébral, un personnage qui essaye de théoriser sur la vie et réfléchit beaucoup, et en même temps une part instinctive, une part d’elle qui n’est pas dans le contrôle, qui se laisse déborder par ses émotions.

Le film est très physique aussi parce qu’il implique des scènes d’amour et de nudité qui représentent un engagement particulier. Vous vous y préparez comment, comme une sportive ?

Exactement ! Je pense souvent à la danse, où le corps devient un outil comme un autre. C’est des scènes que j’ai besoin de préparer avant mentalement, dans le sens où j’ai besoin que ce soit assez chorégraphié, de savoir jusqu’où ça va aller, qu’est-ce qu’on va faire très concrètement, comment on va être, dans quelles positions, quels vont être les gestes qui seront faits. Une fois que c’est digéré, on peut s’abandonner à la scène. Il faut aussi de la confiance dans son partenaire, et j’en avais beaucoup en Valeria et Denis.

L’Anaïs du film est à la fois le double de Charline Bourgeois-Tacquet et le vôtre. En quoi vous ressemble-t-elle le plus ?

Dans son envie que les choses soient grandes. Vivre de grandes choses, de grands amours… L’absence totale de cynisme et de distance avec la vie. Un grand idéal.

Charline Bourgeois-Tacquet : « Avec Anaïs, on s’est totalement reconnues. »

Comment définiriez-vous votre relation créative avec Anaïs Demoustier ?

Je crois qu’avec Anaïs, quand on s’est rencontrées pour faire Pauline Asservie, on a eu l’une et l’autre l’impression de trouver notre alter-ego de cinéma. On s’est totalement reconnues. Elle s’est approprié mes dialogues et on a super bien travaillé ensemble. Je parlerais de collaboration, de compagnonnage… Et il y a aussi une amitié qui est née.

Donner son prénom à l’héroïne de votre premier long-métrage, ça veut dire que vous avez puisé dans ce qu’elle est dans la vie pour écrire le personnage ?

Non. Le scénario était écrit avant notre rencontre. Je l’ai réécrit après le court-métrage, mais c’était davantage pour que le personnage d’Anaïs soit plus proche de celui de Pauline, qu’elle ait son côté excessif qui m’avait permis d’aller du côté de la comédie et que je souhaitais retrouver dans le long. J’ai plutôt choisi ce prénom pour que ça ne soit pas marqué socialement, et aussi parce que ça m’amusait de brouiller un peu les pistes entre fiction et réalité. Mais je ne m’inspire absolument pas de la vie d’Anaïs !

Le film met en scène deux femmes d’âges différents qui font le choix de ne pas faire d’enfant pour se consacrer à autre chose – notamment l’écriture. Est-ce que c’est encore transgressif de dire qu’une femme n’est pas obligée d’élever des enfants si elle veut donner la priorité à son art ?

Je voulais faire le portrait d’une femme de 30 ans, et c’est vrai qu’à cet âge ces questions se posent un peu toutes en même temps. À 30 ans, il faut faut savoir ce qu’on veut faire dans la vie professionnellement, quelle vie amoureuse et conjugale on veut, et en effet, si on veut ou non des enfants, parce qu’après c’est trop tard. Mais j’ai quand même l’impression quand même qu’aujourd’hui ça commence à être beaucoup mieux accepté, et complètement possible même, pour une femme, de ne pas avoir d’enfant. Les amies que j’ai qui on l’âge de Valeria et qui ont choisi de ne pas faire d’enfant pour se consacrer à l’écriture, elles sont vraiment très heureuses. Dans leur vie amoureuse aussi d’ailleurs !

Iriez-vous jusqu’à dire qu’il y a quelque chose d’ontologiquement antagoniste entre l’écriture ou la création en général, et la maternité ?

Ah non pas du tout ! Je pense juste qu’il y a des gens qui sont capables de tout faire en même temps, et d’autres qui ont besoin de se concentrer plus sur leur travail créatif. Il y a quand même énormément de femme qui font les deux.

Il y a dans le film un objet qui passe de femme en femme et qui semble contenir une clé : un exemplaire du Ravissement de Lol V. Stein, le livre de Marguerite Duras. Que représente-t-elle pour vous, un modèle de femme libre ?

C’est une autrice qui a énormément compté pour moi, mais plus ses livres, son écriture, qu’elle en tant que femme. Sa manière de parler de l’amour a sûrement eu quelque chose de formateur pour moi quand j’étais ado, elle a exploré la passion et je crois que ça a un peu construit ma personnalité amoureuse.

Le film soutient que l’intelligence c’est sexy, et qu’inversement la sensualité n’est pas déconnectée de l’intellect…

C’était très important pour moi que ces deux dimensions soient réunies. Dans mon court, Anaïs disait qu’elle était sapiohile (ndlr : le fait être attirée sexuellement par l’intellect de quelqu’un) ! L’intelligence moi je trouve ça hyper sexy, c’est presque le premier critère… J’avais envie de raconter une histoire d’amour et de désir qui passe aussi par les échanges de l’esprit. On ne tombe pas amoureux de quelqu’un juste parce qu’il est beau.

À travers l’histoire entre Anaïs et Emilie, qui est donc à la fois intellectuelle et sensuelle, c’est comme si vous vouliez investir une richesse inexplorée des relations entre femmes…

On a été un peu réduites pendant des siècles à cette histoire de rivalité féminine. Moi ça ne m’intéresse absolument pas, je ne me suis jamais sentie en rivalité avec une femme, au contraire j’adore les femmes, elles m’ont toujours intéressées, j’ai toujours été attirée et fascinée par des femmes, des amies de ma mère, des profs… J’avais envie de raconter cette beauté et cette complexité du lien qu’on peut avoir entre femmes. Il y a aussi une question de transmission, parce que dans le film elles ont une différence d’âge. Anaïs va chercher auprès d’Emilie le secret pour devenir une femme puissante et accomplie, et Emilie a la générosité de lui ouvrir une voie. Et d’un autre côté, le côté fougueux d’Anaïs, propre à son âge, fait aussi beaucoup de bien à Emilie.

Les Amours d’Anaïs, en salle le 15 septembre.

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