Festival de Cannes, Jour 6

H6 : dans les dédales d’un hôpital chinois

En séance spéciale, le documentaire H6 dresse le portrait du plus grand hôpital de Shangai, en se concentrant sur l’expérience des patients et de leurs familles. Une fresque impressionnante, mais qui manque un peu de hauteur de vue.

Par Julien Lada

11 juillet 2021

Temps de lecture 5 min

H6

L’énigmatique nom de code H6 désigne l’Hôpital du peuple numéro 6, l’un des dix hôpitaux de Shanghai regroupés sous cette appellation. Rattachée à l’université de médecine, cette immense bâtisse est le plus grand centre de soins de la mégalopole de 30 millions d’habitants, et l’un des plus grands de la Chine toute entière. Au sein de ses 72 000 mètres carrés, il emploie à lui seul plus de deux-cents médecins chargés de plus de six-cents lits, dans trente-trois départements différents. Symbole du pays de tous les superlatifs, l’hôpital H6 se retrouve aujourd’hui dans le plus grand Festival de cinéma du monde, sujet du documentaire que lui consacre l’artiste plasticienne chinoise Ye Ye.

Le point de départ du projet remonte à une hospitalisation en France dans le courant de l’année 2015. Sur place, Ye Ye découvre non seulement le système de santé français, mais aussi la manière dont les sociétés occidentales approchent la maladie et la mort. Frappée par ce décalage, et nourrie par une expérience de consultante sur un épisode de série télévisée tourné dans un hôpital chinois, l’artiste décide de se lancer dans une ambitieuse chronique du plus grand hôpital de Shanghai. Pendant quatre ans, elle va poser sa caméra aux côtés des familles de quelques-uns des patients du gigantesque complexe hospitalier, pour suivre le parcours du combattant que peut représenter la vie aux côtés de proches hospitalisés sur le long terme.

Ce qui frappe d’abord dans H6, c’est à quel point cet énorme hôpital est un fantastique décor de cinéma. Ultra-moderne à certains endroits (l’hôpital a rouvert en 2016 après d’importants travaux), décrépit à d’autres, ce bâtiment labyrinthique génère de nouvelles formes à chaque scène. On croit se trouver tantôt dans le hall d’une gare, tantôt dans un centre commercial, tantôt dans une petite clinique de campagne… Les couloirs immenses et bondés succèdent aux chambres surchargées où les malades sont alignés les uns contre les autres, loin de l’uniformité visuelle des chambres d’hôpital telles qu’on peut les connaître chez nous. Cette architecture anarchique, qui donne parfois l’impression de s’enfoncer dans le cœur d’une ville au cœur de la ville, illustre le rapport à l’intimité parfois difficile chez certains patients et leurs familles.

C’est avant tout sur ces dernières que repose la proposition de documentaire de H6, structurée à la manière d’une fiction avec ses fils rouges, ses rebondissements, et surtout ses personnages récurrents. Il y a le vieil homme venant visiter son épouse alitée et inconsciente depuis des années, l’épouse aimante désemparée par la vue de son mari cloué sur son lit par un dispositif quasi-barbare qui lui visse le crâne… Et puis il y a le plus haut en couleurs de tous, ce papa boute-en-train qui à chaque visite à sa fille se lance dans de grands numéros de danse et de chant pour amuser la galerie. Au carrefour de tous les besoins que peut nécessiter une agglomération aussi gigantesque que Shanghai, l’hôpital H6 devient le creuset dans lequel se croisent une infinité de destins, avec les soucis logistiques que cela peut engendrer.

En creux, le film de Ye Ye tente aussi d’illustrer l’impossible gestion par le système de santé chinois d’un établissement aussi démesuré. Dans les couloirs de l’hôpital, il n’est pas rare que les familles viennent avec leurs couvertures pour dormir sur les bancs à cause de l’attente interminable, ou avec des pancartes pour qu’on puisse les identifier. Quand elles ne monnayent pas leurs services auprès d’un patient qui a besoin de se faire couper les cheveux… Ces dysfonctionnements structurels, liés à des dépenses de santé parfois inaccessibles pour l’entourage des patients, contribue à dresser un tableau par moment critique du système chinois et de ses failles plus ou moins volontaires.

C’est pourtant là que le film atteint sa principale limite, son approche purement testimoniale l’empêchant de prendre un peu de hauteur dans l’articulation de son discours. L’enchaînement des témoignages peut parfois lasser, et l’on voudrait s’enfoncer plus loin encore dans les coulisses de l’hôpital. On ne reprochera pas à H6 de ne pas être un film qu’il ne souhaitait pas être. Mais on peut regretter l’ampleur que le film aurait pu prendre si, au-delà de la galerie de portraits, il était allé chercher des vérités plus transversales.

H6, prochainement en salle. 

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