Festival de Cannes, Jour 5

Un Monde, l’école en apnée

Présenté à Un Certain Regard et candidat à la Caméra d’or, le premier long-métrage de la Belge Laura Wandel nous plonge sans oxygène dans le bain de la violence scolaire, à travers les yeux d’une petite fille à la fois spectatrice et actrice.

Par Julien Lada

10 juillet 2021

Temps de lecture 5 min

Un Monde

Nora entre à l’école primaire, et espère s’y intégrer aux côtés de son frère Abel. Mais très vite, la petite fille découvre que son aîné est le souffre-douleur des terreurs de la cour de récré. Tiraillée entre l’envie de le protéger et le souci de se fondre dans le décor, Nora se retrouve embarquée dans le mécanisme infernal du harcèlement scolaire, où les victimes peuvent devenir bourreaux à leur tour. Le sujet, impliquant enfants et sujet de société, était casse-gueule. Mais la cinéaste belge Laura Wandel, dont Un Monde est le premier long-métrage, évite les écueils du cinéma social et les sirènes du misérabilisme édifiant en créant un dispositif filmique très affirmé, qu’elle tient de bout en bout.

Le titre du film en révèle le principe : Laura Wandel filmera l’école comme un monde en soi. Et sa traduction anglaise, Playground en précise encore un peu plus les contours. Car à l’intérieur de l’école, Un Monde se centre principalement sur la cour de récréation, ce terrain où tout se joue, y compris les prémices de la violence sociale. Le spectateur ne quittera pas cette arène, le film faisant l’impasse sur la maison des deux enfants, où ils vivent avec leur père (Karim Leklou), que l’on aperçoit à l’entrée de l’école mais dont le nom n’est même jamais prononcé. En resserrant le théâtre de l’intrigue en un seul lieu, Laura Wandel privilégie la tension narrative de son récit, comprimé en 73 minutes haletantes.

Chômage du père, précarité sociale… Les facteurs extérieurs, que l’on saisit par bribes, ne sont pas totalement absents de l’histoire de Nora et Abel. Mais l’objectif du film, et sa principale réussite, est de souligner en quoi l’école peut devenir, au cœur de ces dysfonctionnements, une fabrique du harcèlement – plutôt que d’offrir un refuge imprenable aux enfants. Il ne s’agit pas non plus de peindre un portrait à charge du milieu éducatif, dont la présence, dans le regard bleu de Nora (Maya Vanderbeque, extraordinaire boule de rage et de frustration – Günter Duret, qui incarne Abel, est tout aussi remarquable), reste assez floue, tenue dans le hors champ de son expérience physique, sensorielle même, de la violence scolaire. Le film s’attache plutôt à montrer comment il est encore possible, à l’heure où le harcèlement à l’école est un enjeu gouvernemental, que ces situations passent entre les mailles du filet. Et ce, sans jamais se décoller du point de vue de sa jeune héroïne. Exit les discours convenus sur les réseaux sociaux et autre commentaire d’actualité. Un Monde s’en tient aux gestes, et pire encore aux mots qui font mal, comme ça a toujours été le cas. Des mots entendus à la maison et régurgités sans avoir été compris, dans ce pré-monde où règne déjà la loi du plus fort et la culture du silence et de l’intimidation.

Filmer ce monde-là à hauteur d’enfant, c’est justement donner corps à une échelle de perception à côté de laquelle passent trop souvent les personnels écoliers faute de temps, de formation, de moyens à leur disposition. Caméra au sol, travail spatial sur le son qui enveloppe et étouffe… Tout est fait pour illustrer le décalage parfois si fatal entre la dimension des enfants et celle des adultes. Sans aucun manichéisme, Laura Wandel décrit le récit d’une tragédie inéluctable, d’un engrenage autodestructeur qui emporte avec lui-même les amitiés et les amours familiaux les plus solides. Partant d’un fait de société actuel, Un Monde raconte une histoire intemporelle, qui aurait pu se dérouler n’importe où, n’importe quand, et dont on sait qu’elle continuera toujours à se répéter. L’histoire de la socialisation par la violence et l’humiliation. Face à cette fatalité, Un Monde se traverse en apnée, les poings crispés, comme dans un trop évident cauchemar. Candidat à la Caméra d’Or, il a la force des beaux premiers films sans calcul, profondément honnêtes.

Un Monde, en salle le 21 novembre 2021. 

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