Festival de Cannes, Jour 3

Onoda : l’Histoire sans fin

Arthur Harari frappe un coup de maître avec son deuxième film, Onoda, présenté hier en ouverture d’Un Certain Regard. Film historique mais surtout plongée vertigineuse dans la psyché d’un homme formé pour la guerre, cet ample drame nous a laissé KO d’admiration.

Par Julien Lada

8 juillet 2021
Temps de lecture 5 min

Onoda

Bande-Annonce

L’histoire d’Hiroo Onoda est un pan aussi populaire de l’histoire contemporaine du Japon qu’elle est méconnue chez nous. Ce soldat de l’armée impériale japonaise, envoyé sur le front Pacifique de la Seconde Guerre mondiale aux Philippines, à l’époque territoire colonisé par les Américains, est en effet connu comme le « dernier soldat » de la guerre. Posté avec son escouade sur l’île de Lubang, où il doit retarder le débarquement des troupes alliées, Onoda restera finalement sur place trente ans, refusant de croire à l’Armistice, et continuant à mener sa mission jusqu’en 1974, vivant en reclus dans la jungle philippine.

Si un tel destin n’a évidemment pas échappé aux scénaristes de tous pays, il n’avait jamais donné lieu à une adaptation sur grand écran en Occident. Ses mémoires, Au nom du Japon, publiées juste après sa reddition, ont finalement inspiré le Français Arthur Harari pour son deuxième long-métrage, projet fleuve qui, de l’aveu même du réalisateur, n’adapte que très lointainement les mémoires d’Onoda. Pour Harari, l’Histoire est surtout un canevas propice à distendre la notion du temps, pour mieux entrer dans la psyché d’un homme qui a passé trente ans à se créer un monde en parallèle de celui dans lequel il a vécu.

Entre flashbacks sur son éducation militaire sous les ordres du major Yoshimi Taniguchi et évocations des grandes étapes de sa traque, Onoda retrace en presque trois heures « 10.000 nuits dans la jungle » comme son titre l’indique. Avec une méticulosité et une confiance absolue dans les ressources cinématographiques de son dispositif restreint, Arthur Harari filme une grande aventure humaine aux confins de la folie, quelque part entre le roman picaresque à la Don Quichotte et les grands portraits de traumatisés de la guerre tels Furyo de Nagisa Oshima ou Voyage au bout de l’enfer de Cimino. Mais ce qui frappe immédiatement devant Onoda, c’est à quel point le film s’impose comme un héritier naturel de toutes les références qu’il charrie. Sa forêt luxuriante, énigmatique et mortifère devient comme une extension de celles d’Aguirre de Werner Herzog, de The Last City of Z de James Gray et plus encore de Délivrance de Boorman, jamais autant présent que dans une scène sanglante au bord d’une rivière à glacer d’effroi.

Par son histoire, Onoda était déjà prédestiné à devenir un grand personnage de cinéma. Mais ici, le cinéaste n’en fait pas le simple protagoniste de « la petite histoire dans la grande Histoire ». A mesure qu’il sombre dans la folie née de son propre endoctrinement, il entraîne avec lui le spectateur dans le monde dont il est lui-même le démiurge, où tout est un danger ou un ennemi, et où rien ne pourra faire vaciller son engagement vital. Car loin de simplement refuser la capitulation japonaise, Onoda invente avec la ferveur propre à tout bon complotiste une nouvelle guerre permanente, redéfinie sur un mensonge mené par une seule croyance inamovible : le Japon doit triompher de l’ennemi américain coûte que coûte, parce qu’il est inconcevable qu’il en soit autrement.

Comme si la guerre était devenue une extension de lui-même, Onoda est une grande figure tragique qui se dépouille peu à peu de tout et tous ceux qui l’entourent, un personnage en état de siège permanent. Que ce soit dans le regard halluciné de la jeunesse qui prend le conflit comme un trip permanent (celui de l’époustouflante révélation Yûya Endô) ou dans celui éreinté par l’usure de la solitude et de la crainte (celui, tout aussi émouvant, de Kanji Tsuda), la violence rôde toujours, sans que le spectateur puisse s’en détacher un instant.

Arthur Harari avait déjà tapé dans l’œil de la cinéphilie française avec son premier long-métrage Diamant noir, plongée âpre dans le milieu des diamantaires d’Anvers. Son deuxième fait plus que confirmer son statut de promesse du cinéma français : il le propulse parmi ses auteurs les plus confirmés. Onoda est de ces films dont on se demande encore aujourd’hui comment ils peuvent être faits et produits, et dont la maîtrise de chaque plan impressionne minute après minute. Moins que par une trame somme toute assez conventionnelle quand on la résume, c’est l’assurance avec laquelle le cinéaste tire parti des moindres possibilités que lui apporte un dispositif et une économie de décors plus restreints qu’il n’apparaissent, qui emporte tout sur son passage. Il y à six ans, Diamant Noir avait échappé à la vigilance des festivals du monde entier. Dans le cas d’Onoda, l’énigme restera sa non-sélection en Compétition officielle tant sa soif de cinéma, l’ampleur de sa vision et la vivacité des souvenirs qu’il laisse à la sortie de la salle, en fait déjà l’une des grandes œuvres qui restera de ce Cannes 2021.

Onoda, en salle le 21 juillet

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