Festival de Cannes, Jour 1

Cannes 2021 : affichage sauvage 

Juste avant la cérémonie d’ouverture de Cannes, on étudie de près les affiches des différentes sections du Festival, pour mieux s’interroger sur le rôle de l’imagerie dans cette édition si particulière. Entre affirmation artistique et projections sociétales.

Par Quentin Moyon

6 juillet 2021
Temps de lecture 5 min

Deux troncs puissants, surmontés d’épais massifs de feuilles, nous apparaissent aux couleurs de l’arc en ciel. Nature et rêve s’entremêlent, et viennent nous tirer de notre cauchemar confiné… Cette merveilleuse photographie, issue de la collection Enchanted Forest du photographe et vidéaste américain Daniel Mercadante, a été choisie par le délégué général de la Quinzaine des réalisateurs du Festival, Paolo Moretti, pour incarner l’édition 2021. Une flore luxuriante très éloignée du style pop de l’affiche de l’ACID (l’association qui œuvre à la diffusion du cinéma indépendant sur la Croisette), où deux silhouettes amoureuses défient les gestes barrière ; du plan tiré du film It Follows mis en avant par La Semaine de la critique ; et enfin du clin d’œil à la fois sobre et potache de la sélection officielle à son président du jury Spike Lee, qui passe une tête sur l’affiche avec une casquette palmée, un peu comme il le faisait en 1986 sur celle de son film Nola Darling n’en fait qu’à sa tête. En matière d’affiches, ce sont plutôt les sections du Festival de Cannes qui semblent n’en faire qu’à leur tête.

Cette disparité reflète une forme de cloisonnement persistant entre les différentes sélections qui composent l’évènement cinématographique le plus imposant de la planète. « On est très autonomes vis-à-vis des autres », avoue sans mentir Paolo Moretti. Pour ne pas dire concurrent les uns vis-à-vis des autres ? Le délégué générale de la Quinzaine n’ira pas jusque-là, mais il insiste pour affirmer l’indépendance de sa section, tant en termes de programmation que, donc, sur la conception de l’affiche. Ainsi, à défaut de renvoyer une image claire et concertée de ce qui ferait l’essence du Festival de Cannes – si tenté qu’il y en ait une, ce patchwork d’images aux styles et aux valeurs disparates revendique avec une certaine fougue l’esprit de chaque section. Quand la Semaine de la critique choisit un plan d’It Follows, qu’elle avait sélectionné en 2014 et dont le réalisateur, David Robert Michell, avait été découvert là quatre ans plus tôt avec The Myth of The American Sleepover, c’est pour affirmer sa prime aux jeunes talents. Remise en scène par le photographe François Fontaine et retravaillée par l’agence Les Bons Faiseurs, l’image n’est plus aussi directement associable au film dont elle est tirée, mais évoque de manière plus large un cinéma de genre émergent comme aime à le soutenir la Semaine, de Grave de Julia Ducournau à La Nuée de Just Philippot.

Du côté de l’ACID, il fallait associer l’idée de modernité qui sous-tend cette sélection privilégiant l’avant-garde, et, année post-Covid oblige, une envie de retrouver (un peu) le sens de la fête. Le co-président de l’ACID, Idir Serghine, ne s’en cache pas : le choix fut « anti-démocratique », tant l’image proposée par l’illustratrice Marie Mohanna, tout en couleurs flashy et confettis dansants, et mettant en scène deux statues non-genrées aux traits fins et élégants, cochait à la fois les cases de la gaité et de la contemporanéité. La Quinzaine, pour sa part, veut voir dans la photo libre et rêveuse de Daniel Mercadante, obtenue par le biais de différentes techniques d’exposition de longue durée mais aussi de projection et autre juxtaposition, « la richesse et la diversité de la création cinématographique contemporaine ».

Quant à l’officielle, dont l’affiche a été produite par l’agence Hartland Villa, elle combine plusieurs niveaux de lectures. D’abord le noir et blanc, comme pour évoquer le deuil de l’édition 2020 empêchée par le Covid, et peut-être aussi, par l’intermède du très politisé Spike Lee, premier président du jury noir de l’histoire du festival, le souvenir de la mort de George Floyd et des manifestations anti-racistes qui s’en sont suivies Outre-Atlantique. Ensuite les palmiers cannois qui pourraient tout aussi bien être hollywoodiens, comme pour affirmer les affinités du tapis rouge avec les stars américaines qui font aussi sa légende. Après avoir suivi le mouvement #MeToo en choisissant l’an passé la photo d’une Agnès Varda cascadeuse et féministe sur le tournage de La Pointe Courte, retravaillée par la graphiste Flore Maquin, la sélection principale semble vouloir poursuivre dans une veine discrètement politique sans y sacrifier totalement le glamour.

Les sélections seront-elles forcément à l’avenant de l’esprit de chaque affiche ? Pour Paolo Moretti, l’affiche représente la section « sans pour autant faire écho à la programmation ». D’autant plus qu’elle est souvent choisie « en amont, avant les délibérations », complète Idir Serghine à L’ACID. Mais des fils invisibles relient forcément cette image de proue et toutes les images qui seront présentées sur la Croisette d’ici le 18 juillet. Et d’une affiche à l’autre, même dissemblables, on peut quand même voir courir le désir d’une liberté retrouvée, une envie de revivre. Courir vers l’autre, s’embrasser sous les confettis, se plonger dans la beauté de la nature, ou lever un œil interrogateur vers le ciel… Ce quatuor d’affiches nous parle un peu de notre présent sonné, et aussi de l’avenir qu’on espère encore pouvoir contempler. Dans la réalité et dans la fiction.

Le Festival de Cannes a lieu du 6 au 18 juillet.

Affiches cannoises : notre sélection

Sélection officielle, 2016

Pour sa 69e édition, le Festival de Cannes fait appel au duo Hervé Chigioni /Gilles Frappier pour redonner vie et couleur (dorée) à un photogramme issu du Mépris de Godard. On y voit Michel Piccoli monter les marches, mais pas celles revêtues de rouge du Palais des Festivals : celle des escaliers de la villa dessinée par l’écrivain Curzio Malaparte où il retrouvera Brigitte Bardot. Mythologique.

Quinzaine des Réalisateurs, 2014

On adore cette affiche de la 46e édition de La Quinzaine des Réalisateurs, basée sur une photographie de Cécile Burban retravaillée par le graphiste Michel Welfringer. Un homme s’engouffre dans une petite lucarne noire, comme nous qui tentons de fuir le réel dans les salles obscures. Une image presque mentale, qui flirte avec le surréalisme à la Magritte, et semble évoquer la part de folie du cinéphile.

Semaine de la critique, 2014

Avant de produire l’affiche 2021 de la Semaine, l’agence Les Bons Faiseurs avait déjà officié avec talent sur celle de 2014, qui mettaient à l’honneur l’actrice Kate Moran, égérie des Rencontres d’après minuit de Yann Gonzalez, un des films marquants de l’histoire de la section. Dans le viseur de la caméra, en virée moto, elle était dans la cible sans pour autant renier sa liberté. Et ça donnait envoie de la suivre.

ACID, 2016

Mais que fait (Pierre) la Police ? En 2016, le célèbre dessinateur et auteur de BD s’est vu confié par l’ACID la réalisation de son affiche. Résultat : une proposition très pop et graphique, aux color blocks vifs et langoureux, où deux femmes – une brune et une blonde – se dévisagent sur le quai d’une gare. Le glamour de la robe, le rouge des rideaux de cinéma… et ce regard échangé que l’on ne peut que deviner, comme un mystère à résoudre.

Voir aussi

Disponible sur Mubi

Films
19 janvier 2021

Ham on Rye, de Tyler Taormina

Critique

Avec son premier long-métrage, Ham on Rye, le jeune réalisateur américain Tyler Taormina apporte sa pierre à la déconstruction du teen movie, et délivre un propos engagé à travers un…

Disponible sur Netflix

Films
28 janvier 2021

The Dig sur Netflix

Critique

Deuxième film du metteur en scène australien Simon Stone, plus connu pour son travail au théâtre, The Dig est une élégie grandiose, faussement corseté, qui retrace l’histoire vraie d’une découverte…