Cinétique, les journées du cinéma en mouvement

4 choses à savoir sur Barbara Hammer

Somewhere Else et Dulac Cinémas unissent leur force pour vous proposer une sélection hebdomadaire de films, accompagnés d’animations pour nourrir votre projection. Cette semaine sur Somewhere Else, on part à la rencontre de la cinéaste Barbara Hammer, qui fait l’objet de deux courts-métrages à voir en ce moment sur la plateforme MUBI, Vever (for Barbara) et A Month of Single Frames.

Par Caroline Veunac

Temps de lecture 10 min

Elle n’est pas la petite-fille de Lillian Gish

Ne vous fiez pas à sa page Wikipédia : Barbara Hammer n’est pas la descendante directe de la star du cinéma muet. Sa grand-mère maternelle fut en réalité la cuisinière du réalisateur de Naissance d’une nation D.W. Griffith, ce qui permit à la petite Barbara, née à Hollywood en 1939, de croiser une fois le chemin de la muse du cinéaste, Lillian Gish. Devenue elle-même réalisatrice dans les années 70, Barbara Hammer a souvent revendiqué l’influence de sa grande-mère – qui n’était pas qu’un cordon bleu, mais aussi une peintre autodidacte –, sur sa vocation artistique. Peut-être la fée Gish lui a-t-elle aussi transmis un peu de son esprit pionnier, elle dont le visage délicat incarna l’aube du cinéma, mais qui ne se contenta pas d’inspirer les réalisateurs hommes, puisqu’elle fut également réalisatrice et scénariste. En 1920, à 27 ans, la belle actrice réalisa son propre film, Remodeling Your Husband, une comédie sur une femme aux prises avec un mari infidèle. Barbara Hammer en avait deux de plus lorsqu’elle tourna son premier court-métrage, White Cassandra, en 1968, un assemblage de plans aériens des rooftops de Los Angeles et d’un ranch hippie dans la campagne, synthétisant l’héritage de son enfance hollywoodienne et son aspiration à un mode de vie alternatif.

Dyketactics

C’est une pionnière du female gaze

En 1975, la théoricienne du cinéma Laura Mulvey théorise le concept de male gaze, pour caractériser la manière dont la mise en scène de la grande majorité des films, régie par la norme masculine, objectifie le corps des femmes. Au même moment, Barbara Hammer déroge à la règle dominante en réalisant des courts-métrages où elle adopte naturellement ce qu’on appellerait aujourd’hui un female gaze : une manière de filmer qui cherche à restituer l’expérience féminine dans sa subjectivité. À l’époque où la jeune Californienne multi-diplômée (de psychologie, de littérature et de cinéma) se lance dans la réalisation, elle vient de quitter son mari (« un type extraordinaire ») pour affirmer son homosexualité : ce double mouvement de libération est la source même de son cinéma, qui n’aura de cesse, en 80 films, de chercher à représenter les différentes facettes d’une vie lesbienne jusque-là tabou.

Chevauchant sa moto, une caméra super-8 comme seul bagage, Barbara Hammer conjugue au féminin l’héritage de Kerouac et de la beat generation, dessinant une nouvelle silhouette de réalisatrice indépendante. Mais son audace ne réside pas uniquement dans son attitude, elle se manifeste aussi dans ses sujets : en 1974, elle change l’histoire avec Dyketactics, considéré comme le premier film lesbien, qui met en scène avec une sensualité solaire la sexualité entre femmes. L’innovation est également formelle : influencée par Maya Deren, grande figure du cinéma surréaliste des années 40, Barbara Hammer multiplie les expérimentations visuelles, surimpressions, surexposition, collages, coloriages, altérations de la pellicule… Ces effets se conjuguent pour créer un univers de sensations inédites et d’exultations joyeuses, vécues et représentées par une femme.

Nitrate Kisses

C’est une archiviste de la cause LGBT

L’engagement de Barbara Hammer n’est pas seulement artistique : il est également historique et militant. Chez elles, les trois sont indissociables. En 1992, la cinéaste désormais quinquagénaire réalise Nitrate Kisses, son premier long-métrage, un documentaire sur la répression de la communauté LGBTQ depuis la Première Guerre Mondiale. Ce film, qui conserve la forme expérimentale propre au travail de l’artiste, est le premier volet d’une trilogie sur l’invisibilisation des gays et des lesbiennes à travers le temps. Dans le deuxième, Tender Fictions (1995), elle s’essaye au registre de l’autobiographie, associant des films de famille, des photos et des interviews pour reconstituer des bribes d’enfance et des moments clés de sa vie d’adulte, comme la première fois qu’elle entendit le mot « lesbienne », et comprit qu’il s’appliquait à elle. Arrive ensuite History Lessons (2000), où la réalisatrice raconte l’histoire queer en détournant diverses images d’archives, allant de mélos hollywoodiens à des films pornographiques, en passant par des spots éducatifs, publicitaire ou médicaux. Cette Invisible Histories Trilogy, qui témoigne d’une oppression systémique tout en libérant les esprits par sa créativité, montre le côté à la fois disruptif et inclusif du travail de Barbara Hammer, qui inspirera toute la génération du New Queer Cinema dans les années 90, de Todd Haynes à Lisa Chodolenko.

A Month of Single Frames

Elle a préparé son testament artistique

Le cancer qui frappe Barbara Hammer en 2006 va marquer son travail d’artiste durant les dernières années de sa vie, jusqu’à sa mort en 2019, à l’âge de 79 ans. Investie dans la lutte pour le droit de mourir dans la dignité, la cinéaste, épaulée par sa compagne Florrie Burke, fait de la maladie une nouvelle occasion d’explorer son expérience sensible du monde dans un corps féminin, même si celui-ci est mis à mal. En 2008, dans A Horse Is Not A Metaphor, elle met en regard le combat contre le cancer et la beauté énergisante de la nature. Dix ans plus tard, voyant la fin venir, Barbara Hammer confie à son amie, la réalisatrice Lynne Sachs, des images en 16 mm et des fragments de journal rapportés d’une résidence d’artiste qu’elle avait passée à Cape Cod dix ans plus tôt, et lui demande d’en faire un film : ce sera A Month Of Single Frames (à découvrir en ce moment sur MUBI), un court-métrage sensoriel qui lie la créativité au sentiment de solitude et à l’intensité du rapport avec les éléments – paysage, ciel, mer, vent – dans lesquels Barbara Hammer se refondra bientôt. L’année suivante, c’est une autre réalisatrice amie, Deborah Stratman, qui monte à sa demande des rushes tournés lors d’un voyage au Guatemala en 1975, associés à des citations de Maya Deren, donnant naissance à un autre court-métrage, Vever (for Barbara) (également sur MUBI). Ce travail sororal de continuation de son œuvre se prolonge par-delà sa mort, à travers la Barbara Hammer Lesbian Experimental Filmmaking Grant, une bourse créée par ses soins en 2017 pour promouvoir le travail de jeunes réalisatrices lesbiennes, qui a déjà récompensé les artistes Miatta Kawinzi en 2018 et Alli Logout en 2019.

A Month Of Single Frames et Vever (for Barbara) sont actuellement disponibles sur MUBI

Voir aussi

Disponible sur Mubi

Films
19 janvier 2021

Ham on Rye, de Tyler Taormina

Critique

Avec son premier long-métrage, Ham on Rye, le jeune réalisateur américain Tyler Taormina apporte sa pierre à la déconstruction du teen movie, et délivre un propos engagé à travers un…

Disponible sur Netflix

Films
28 janvier 2021

The Dig sur Netflix

Critique

Deuxième film du metteur en scène australien Simon Stone, plus connu pour son travail au théâtre, The Dig est une élégie grandiose, faussement corseté, qui retrace l’histoire vraie d’une découverte…