Catherine Bizern, déléguée générale du Cinéma du Réel

« Le Festival est une maison. »

La 43e édition du Festival International du Film Documentaire Cinéma du Réel, démarre en ligne ce 12 mars. Sa déléguée générale et directrice artistique Catherine Bizern nous parle de la programmation d’un événement plus que jamais nécessaire pour donner à voir et à ressentir le monde contemporain.

Interview : Quentin Moyon

Temps de lecture 10 min

« L’année dernière, nous nous étions dit que quelque chose s’était passé, mais que ça n’était pas un festival. » L’année dernière, c’était en mars 2020, juste au moment où la crise sanitaire faisait main basse sur notre liberté de circuler et de nous réunir. Le Festival International du Film Documentaire, mieux connu sous le nom de Cinéma du Réel, habituellement organisé par la Bibliothèque Publique d’Information au cœur du Centre Pompidou, avait dû basculer en ligne dans la précipitation. Cette année, l’évènement sera une nouvelle fois digital, mais Catherine Bizern et son équipe ont eu plus de temps pour imaginer un dispositif qui permette quand même de « vivre quelque chose en commun ». Le vivre et le commun – dans leur complexité, leurs mutations, leurs limites et leurs espoirs – traversent ce festival aux yeux portés sur le monde, mais aussi levés sur les cieux de la création, ouverts aux expérimentations formelles et à l’émergence des jeunes talents. Capitaine du bateau depuis 2018, Catherine Bizern nous en dit plus sur une 43e édition qui refuse de baisser la tête.

Comment négociez-vous le virage digital du festival ?

Est-ce que ce que nous vivons actuellement correspond à un « virage » ? En aucun cas. Pour moi, c’est un accident, c’est juste temporaire. Accidentellement, cette année, parce que nous souhaitons que le festival existe malgré tout, nous sommes dans l’obligation de faire une édition dématérialisée. Et donc de penser le festival différemment. L’année dernière, nous étions le premier festival à passer en digital, et nous avons dû réagir rapidement, puisque le discours d’Emmanuel Macron a eu lieu le soir de l’ouverture. Nous avons tout repensé en quelques jours seulement. Débutait alors une année de festivals en ligne, et j’espère que Cinéma du Réel 2021 sera le dernier.

Digital ou physique, qu’est-ce qui fait l’identité de Cinéma du Réel ?

Cinéma du Réel a été créé dans les années 70, ce qui en fait le plus ancien festival de documentaire en France. C’est un festival qui se veut très proche du milieu documentaire, tout en étant en prise avec ce qui se passe dans la société. Nous nous attachons à montrer des films qui ont une vision, une dimension cinématographique très grande. Concernant notre approche du cinéma, nous ne sommes absolument pas dogmatiques. Le documentaire est bien plus qu’un genre : au-delà d’une manière de faire, c’est une manière d’être. On peut retrouver dans la programmation de nombreux courants du documentaire, du cinéma direct avec un cinéaste comme Donn Alan Pennebaker au cinéma anthropologique de Jean Rouch, en passant par le travail d’un Ben Russell, qui travaille sur une anthropologie beaucoup plus expérimentale et poétique. Sans omettre ce que j’appelle cinéma de dispositif, qui est plus proche de l’art contemporain. Ces courants se rejoignent tous sous la dénomination de documentaire, mais revêtent en réalité des formes extrêmement différentes. Notre objectif est de montrer toutes ses formes.

Comment construisez-vous la programmation ?

Avec le comité de sélection, qui comprend quatre personnes dont moi, nous effectuons une double démarche. Tout d’abord un appel à candidatures, qui cette année nous a permis de recevoir environ 1500 films. Ensuite, un travail de recherche de films pour nos compétitions, notamment dans les festivals étrangers. Nous essayons évidemment de mettre le grappin sur ce qui sort tout juste du four. Cette année, nous montrerons en première mondiale quatre films qui viennent juste d’être terminés : Saxifrages, quatre nuits blanches, de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval ; Garage, des moteurs et des hommes, de Claire Simon ;  L’état des lieux sera dressé à onze heures en présence de la femme du poète, de Martin Verdet ; et Venice Beach, CA, de Marion Naccache. Pour ce qui est de la compétition en particulier, nous avons fait un choix très sélectif en ne sélectionnant que quarante films, courts et longs-métrages. Nous sommes attentifs à ce que de nouveaux entrants intègrent la compétition, et nous avons aussi le désir de montrer des cinéastes installés, des artistes mondialement importants. Et puis, nous sommes attachés à un certain nombre d’artistes et de cinéastes comme Virgil Vernier, en compétition cette année avec un film court (Kindertotenlieder) ou Alice Diop, qui avait déjà présenté ses films précédents, La Mort de Danton et La Permanence, il y a quelques années, et dont nous allons monter le dernier, Nous, en ouverture de cette édition. Le festival est une maison, et c’est une maison pour ces cinéastes qui y reviennent régulièrement.

Le Festival consacre également une section à de tout jeunes cinéastes…

En effet, nous avons une sélection qui s’appelle Première fenêtre, dédiée à la prospection de talents émergents, qui effectuent leur premier geste documentaire. Les films sont des œuvres d’atelier, de diplôme ou réalisés dans le cadre des études. Pour les sélectionner, ce n’est pas le même comité. Nous avons choisi de travailler là-dessus avec un groupe d’étudiants, souvent intéressés à évoluer plus tard vers la programmation.

Cinéma du Réel est à la fois un regard sur le cinéma et sur la société. Quel état des lieux de notre monde dresse la programmation 2021 ?

Les mouvements présents ont un peu impacté la production de films. Après #MeToo, nous avons reçu beaucoup de réalisations qui interrogent la place du genre, des transgenres notamment, ou bien qui s’intéressent à l’engagement politique des femmes. Nous avons choisi de montrer trois films de la cinéaste Marwa Arsanios (Who Is Afraid of Ideology ?, Part. I, II, III) qui traitent de figures féministes, engagées politiquement et écologiquement, ce qui complexifie encore la question de la place de la femme. En lien direct avec le mouvement Black Lives Matter, nous allons montrer le film du cinéaste Kevin Jerome Everson, The I and S of Lives). Depuis plusieurs années déjà, nous recevons aussi beaucoup de témoignages sur les migrations. Enfin, comme vous pouvez vous y attendre, nous avons reçu de très nombreux films de confinement. En compétition, nous en avons gardé un, Citadel, du britannique John Smith. Et dans la section Front(s) Populaire(s), celui de Natacha Thiéry, Rêve de Gotokuji par un premier mai sans lune. Nous nous sommes surtout rendu compte d’une transformation dans la nature des images utilisées. Aujourd’hui, ce sont les images disponibles sur Internet, mais aussi sur des réseaux sociaux comme Tik-Tok, Instagram ou Zoom, qui nourrissent les films. C’est un nouveau corpus d’images qui vient transformer la forme des œuvres.

La programmation d’un festival comme Cinéma du Réel a-t-elle vocation à être politique ?

Depuis mon arrivée en 2018, nous avons développé une nouvelle section qui s’appelle Front(s) Populaire(s), qui a justement pour vocation de s’intéresser et d’interroger la dimension politique du cinéma documentaire, mais aussi la capacité activiste d’un festival. Nous avons de ce fait, dans notre programmation, beaucoup de réalisations qui sont des films critiques, qui traitent de ce qui se passe dans le monde en prenant partie. Des œuvres qui tendent à ouvrir les consciences. Qui invitent à la révolte. Cette année la section Front(s) Populaire(s) a pour sous-titre « A quoi servent les citoyens ? ». On pourra y découvrir de nombreux films, mais aussi y suivre en direct des conférences thématiques qui donneront la parole à des réalisateurs, à des anthropologues et à d’autres chercheurs, pour accompagner les projections et nourrir le débat. Nous ne voulons pas limiter notre action à la projection de films. Un festival, c’est aussi un lieu où il est possible de penser le monde.

La 43e édition du Festival International du Film Documentaire Cinéma du Réel se tiendra en ligne du 12 au 21 mars 2021.

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