Capucine Cousin auteure de Netflix & Cie : les coulisses d’une (r)évolution

« Netflix sauveur des salles, je n’y crois pas beaucoup. »

On en a rêvé, c’est presque une réalité : demain, on pourra retourner dans les salles de cinéma. Quelle trace aura laissé un an de pandémie et de films à domicile sur notre rapport à ce lieu de communion ? Netflix est-il le fossoyeur des salles ou va-t-il contribuer à leur résurrection ? Réponse nuancée avec la journaliste Capucine Cousin, auteure de Netflix – Les coulisses d’une révolution.

Par Jacques Braunstein

Temps de lecture 5 min

« Pourquoi les complotistes croient-ils que c’est Bill Gates qui a organisé la pandémie, alors qu’il est évident que c’est à Netflix qu’elle profite ? » Cette boutade, entendue dans la queue d’une projection de presse, résume assez bien la prise de pouvoir des plateformes depuis un an. Alors que les salles étaient victimes du Covid, la firme de Ted Sarandos et Reed Hastings triomphait lors des premiers confinements. Maintenant que les cinémas rouvrent, la question, qui se posait déjà avant la pandémie, est plus brûlante que jamais : l’engouement pour Netflix, et pour le streaming en général, va-t-il freiner le retour des spectateurs dans les salles ? La journaliste économique Capucine Cousin, à qui l’on doit l’enquête Netflix & Cie : Les coulisses d’une (r)évolution, pèse le pour et le contre d’un enjeu majeur.

Qu’est ce qui a changé dans l’économie des plateformes avec la pandémie ?

Netflix a eu des résultats flamboyants toute l’année dernière. Mais du coup, les attentes des investisseurs se sont relevées, et la plateforme a un peu déçu en 2021. Leurs résultats sont bons, et même très bon, mais le compte n’y est pas en terme de recrutement d’abonnés. Au premier trimestre, Netflix a gagné quatre millions d’abonnés, alors qu’elle en attendait 6 millions. Ces chiffres sont encore moins impressionnants si on les compare au premier trimestre 2020, durant lequel elle avait gagné 15,8 millions d’abonnés supplémentaires. Un record lié à la pandémie, au confinement, aux fermetures des lieux de spectacle. Dans la lettre aux investisseurs qui avait suivie, les fondateurs de Netflix – qui ne sont pas d’une franche modestie en temps normal – écrivaient d’ailleurs que ces chiffres étaient exceptionnels, et qu’il y avait un effet pandémie qui allait forcement retomber par la suite.

La suprématie de Netflix est donc moins absolue qu’il n’y paraît ?

Oui, car un autre indice se révèle assez préoccupant : aux États-Unis, Netflix gagne peu d’abonnés. La plateforme est rattrapée par ses challengers Outre-Atlantique, où la concurrence entre streamers est plus rude et plus multiple qu’ailleurs. Elle y fait face à Disney+, Apple TV+ ou Amazon Prime comme ici, mais aussi à des acteurs que l’on connaît encore peu en France comme Hulu, HBO Max, Warner TV, etc. Netflix, qui a lancé son service de de streaming en 2010, totalise aujourd’hui 208 millions d’abonnés dans le monde. Alors que Disney+ lancé voici 18 mois en est déjà à 100 millions ! C’est impressionnant à quelle vitesse elle la rattrape. Certains analystes estiment qu’il commence à y avoir un effet de saturation sur ce marché. Sachant qu’aux États-Unis les salles sont en train de rouvrir, et qu’en France et dans les autres pays européens les gens vont également commencer à y retourner… Il peut y avoir un effet de lassitude envers les plateformes.

« La plateforme est rattrapée par ses challengers Outre-Atlantique, où la concurrence entre streamers est plus rude et plus multiple qu’ailleurs. »

Netflix a racheté le Paris Theater de New York, l’Egyptian Theater de Los Angeles… Et aujourd’hui les réseaux californiens Pacifique Theater et Arc Light, qui sont en grande difficulté, espèrent qu’une plateforme fasse une offre. C’est paradoxal, mais peut-on dire que les plateformes sont l’avenir des salles ?

Netflix s’est porté acquéreur de l’Egyptian Theater, qui est une salle historique et prestigieuse, pour organiser des projections et des événements. Un film en lice aux Oscars, où qui est présenté à la Mostra de Venise, est obligé de sortir dans une poignée de salle. Mais la plateforme ne deviendra jamais un exploitant de salles de cinéma, ce n’est pas son modèle, ce n’est pas son ADN, et ça ne l’intéresse pas. Reed Hastings, son PDG, a toujours affirmé que son but était de fournir des contenus exclusifs aux seuls abonnés qui les ont payés. Donc Netflix sauveur des réseaux en faillite, je n’y crois pas trop.

Aux États-Unis, les studios misent-ils encore sur la salle ?

Les studios classiques n’ont pas voulu sortir sur les plateformes des films comme Mission : Impossible ou James Bond, et préféré les repousser. Dans le même temps, la Warner et Disney ont annoncé fin 2020 la sortie de certains films (Soul, Wonder Woman 1984…) à la fois sur leurs plateformes et en salle. Une sorte de modèle économique temporaire.

En France, Netflix et les autres plateformes ne veulent pas sortir leurs films en salle, car les règles de la chronologie des médias les empêcheraient de les diffuser en streaming dans les 36 mois qui suivent. Ces règles sont-elles appelées à changer ?

En France, le Centre National du Cinéma a autorisé le 1er avril dernier la sortie de films sur le petit écran à titre temporaire, en raison de l’accumulation de films qui seraient aujourd’hui 500 à attendre. Ceux qui le souhaitent peuvent donc demander une diffusion sur les plateformes tout en conservant les aides reçus par le CNC lors de leur production. Mais Le CNC précise que cette mesure ne remet pas en cause la chronologie des médias, dont la réforme prochaine est en cours de négociation. Ça dépendra aussi de comment se déroule la réouverture des salles. Le public va-t-il rester méfiant ? Les gens ont-ils pris le pli, se sont-ils habitués aux plateformes et vont-ils moins aller au cinéma ? C’est une autre évolution possible.

Netflix & Cie : Les coulisses d’une (r)évolution, de Capucine Cousin (Armand Colin)

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